Les maux que ces mots ne nous disent pas.
Le décès du président gabonais a permis, pour l’Afrique
francophone du moins, de mesurer la chance qu’avait le continent
d’avoir des hommes d’état capables de rester 20, 30 voire 40 ans au
pouvoir. Une marque, un symbole de sagesse, une preuve d’un aplomb
certain en matière politique. Ainsi apprend-t-on de certains homologues
africains et occidentaux du défunt président et même des médias
hexagonaux pourtant …Vaste programme !
Au-delà de l’affliction, que le propos vienne des chefs d’état
africain, n’est en aucun cas une surprise pour au moins deux raisons.
Pour illustrer l’une des raisons, il semble judicieux de citer Amadou
Hampaté Bâ qui disait : “ En Afrique lorsqu’un vieillard meurt, c’est
une bibliothèque qui brûle“. Oui ! Une certaine sagesse vient de s’en
aller avec la disparition de monsieur Omar Bongo. En ce sens, il est
fort heureux de constater que malgré le séisme d’acculturation et
d’aliénation imposées et subies qui frappe l’Afrique, elle réussit à
garder une de ses valeurs : le respect de ses ainés, de ses anciens, de
ses vieillards.
Malgré la circonlocution que l’on est tenté de relever dans les
propos, les considérations plutôt d’ambitions personnelles dont
politiques sous-tendent la rhétorique de certains présidents africains
à l’endroit du président gabonais et traduirait leur aspiration à
battre le record de longévité à la tête d’un état, record que détient
de fait le défunt président Omar Bongo. Les multiples révisions, mieux,
les découpages sur mesure des constitutions observées ci et là dans les
pays d’Afrique francophone expriment et dévoilent au grand jour ce vœu
secret des chefs d’états africains en poste et qui se livrent à cet
exercice en vogue.
C’est à croire finalement que la chanson populaire qui nous apprend
que “ la misère serait moins pénible au soleil “ n’est finalement pas
une vue de l’esprit, mais bien une réalité que les africains devraient
à jamais intégrer. Car pour les occidentaux, l’identité paix sociale ou
stabilité = pauvreté, n’est décidément vérifiable que pour le
continent noir.(http://www.camerounlink.net/fr/experts.php?nid=46243&pid=2208
)En dicton ceci se traduirait par : “ Soyez dans la paix, mais dans la
pauvreté“. Ce qui ressemble étrangement aux discours tenus par les
premiers missionnaires européens en Afrique, qui enseignaient à leurs
ouailles de ne pas s’intéresser aux biens matériels car destructeurs
pour leurs âmes. Lesquels biens prenaient et continuent de prendre la
direction du Nord, comme si les âmes européennes n’ont vraiment pas
besoin d’être préservées des méfaits des biens matériels. Fermons cette
parenthèse…
C’est ainsi que d’une part, les longévités des présidents africains
à la tête de leurs états seraient à mettre dans le compte de leur
dextérité, de leur maîtrise de l’art de gouverner et de diriger leur
pays respectif. Pourquoi pas ? Les populations de ces pays n’y
verraient aucun inconvénient si cette longévité était également
traduite pour elles par un éloignement de la paupérisation, en plus des
3 maux que le travail est censé éloigner parmi la panoplie des maux qui
les menacent.
Depuis l’annonce de la mort du président Bongo, ou comme dans le
Cameroun voisin, les mots susurrés ou claironnés par les médias et
hommes politiques hexagonaux tels que: “stabilité, paix sociale, maitrise etc.“ caressent
les lobes des oreilles africaines et invitent à l’acceptation d’une
fatalité qui n’en est pas une : que la paix, la stabilité du continent
noir ou de l’Afrique francophone pour être plus précis, dépend de sa
grande capacité à tolérer la pauvreté qui leur est imposée.
L’ancienne juge Eva Joly décrit bien cette situation lorsqu’elle
affirme, dans le concert d’hommage à l’annonce du décès du président
gabonais que : « s’il avait bien servi les intérêts de la France »
notamment par « la manne pétrolière », Omar Bongo n`avait pas « le
souci de ses citoyens ». Le Gabon, a-t-elle dénoncé, « c`est un PIB
égal au Portugal» qui « construit cinq kilomètres de routes par an» et
qui a « le taux de mortalité infantile parmi les plus élevés au monde
». Ce constat n’est pas à mettre au seul crédit du Gabon, c’est celui
valable dans toute l’Afrique francophone et dans une paix sociale sans
commune mesure.
Tant que l’identité stabilité sociale, paix = pauvreté est
maintenue, on s’éloigne de la théorie du chaos que l’on agite en cas de
soulèvement du peuple. Voilà ce qui guette les populations africaines
qui ne voudraient plus s’accoutumer de la pauvreté créée de toutes
pièces et maintenue par des longévités au pouvoir de leurs hommes
d’état. Ce chaos que l’on retrouve en Haïti est le même que l’on
retrouve ou retrouvera dans les pays africains francophones dans leurs
velléités d’affranchissement. Bousculer les habitudes établies dans les
pays du pré-carré français comme des havres de paix, est faire acte
d’insoumission et subir l’épée de Damoclès jusque là suspendue
au-dessus des populations de ces pays.
D’autre part, cette rhétorique nouvelle qui entoure le Gabon ou le
Cameroun pour ne citer que ces deux là, laisse dubitatif quiconque a
pris le temps d’observer l’indécente arrogance des médias et hommes
politiques français à l’endroit des dirigeants africains en général et
francophones en particulier sans lesquels, la France finalement n’est
rien comme le rappelait avec justesse le président Bongo : “ La France
sans le Gabon (l’Afrique) est comme une voiture sans carburant“.*
La versatilité de l’opinion médiatico-politique hexagonale
vis-à-vis de l’Afrique francophone fait la démonstration du rapport de
soumission qui est à la base de cette relation. Plus la soumission aux
besoins en tous genres de l’Elysée est grande, plus la côté de
popularité des dirigeants africains est au beau fixe. Le vocabulaire
est à ce moment, des plus complimentant pour ne pas dire flagornant et
vice versa. Comment comprendre que la longévité au pouvoir soit un jour
un acte de paix et de stabilité et un autre jour une dictature ?
“ Les peuples démocratiques haïssent souvent les dépositaires du
pouvoir central; mais ils aiment toujours ce pouvoir lui-même “
affirmait Alexis de Tocqueville. Cette maxime éclaire peut-être un peu
plus sur l’hagiographie ambiante qui menace l’irrépressible arrogance
médiatico-politique hexagonale et trahit de fait une flagornerie dont
on connaît l’objectif final.
Source: Camerounlink
Jean-Jacques Dikongué.